Quand la milice d’Al Sadr, vous savez, le révolutionnaire shiite qui allait bouter les Américains hors d’Iraq, est mise en déroute à Karbala, que doit titre Le Monde ?
– « la milice d’Al Sadr défaite à Karbala »
ou
– « L’armée du Mahdi a été chassée de Kerbala au prix d’importantes destructions » ?
Vous connaissez bien sûr la réponse, parce que vous savez qu’une bonne nouvelle concernant l’Iraq ça n’existe pas. Alors il faut noircir le tableau, omettre d’analyser, et ajouter des commentaires ambigüs. Malgré tout, pour une fois, l’article a un réel contenu « informatif ».
l’armée américaine, vainqueur incontesté de la bataille de Kerbala, contre les jeunes « soldats » dépenaillés de « l’armée du Mahdi » obéissant à l’imam radical chiite Moqtada Al-Sadr
Informations:
l’armée US a gagné les combats militairement contre des crapules terroristes.
Distorsion: c’étaient des pauvres enfants égarés par le méchant imam.
A Kerbala, depuis le vendredi 21 mai, la milice chiite n’existe pratiquement plus. Sa mosquée non plus, qui a été quasiment détruite par les chars d’assaut.
Information: Karbala est libérée.
Distorsion: les chars ont détruit « la » mosquée de Karbala.
Omission: les mosquées sont utilisées comme camp de base par les miliciens, ce qui constitue un crime de guerre. Il est fréquent d’y retrouver de véritables arsenaux. Une fois désignée cible militaire du fait de son utilisation militaire, il est légitime d’ouvrir le feu contre les occupants du bâtiment.
Après des semaines de combats de rue et des dizaines de morts, le général a décidé d’employer les grands moyens, c’est-à-dire les chars d’assaut, contre les dernières poches de résistance.
Info: l’armée US a soigneusement évité d’employer « les grands moyens » et pourtant a décimé son adversaire. Pour éviter des combats trop violents et des pertes inutiles, nettoyage avec un assaut blindé.
Omissions: de quel côté sont les « dizaines de mort » ? Combien de chars ? combien d’hommes pour mener l’assaut ? Des pertes US ? Aucune perte civile ?
Grâce à l’action de ses soldats, claironne le général, « les écoles peuvent rouvrir, les élèves étudier en toute sécurité, les commerces rouvrir leurs portes et prospérer »
Problème : il n’y a pratiquement plus un hôtel, un magasin ou un restaurant debout sur l’avenue Al-Mokhayam, la principale artère commerçante de Kerbala, qui borde deux des plus grands mausolées sacrés du chiisme mondial, ceux des imams Hussein et de son demi-frère Abbas. Le premier monument a reçu plusieurs projectiles de gros calibre, qui se sont fichés dans sa grande porte de bois sculpté et dans le marbre blanc de ses murs de soutènement.
Information: l’opération est un succès, et les activités civiles vont enfin reprendre. Les principales attractions de la ville sont quasiment intactes.
Quelques bâtiments sont détruits.
le quartier rappelle Beyrouth au plus fort de la guerre civile.
Fallait-il vraiment en arriver là ? Bien sûr, ici comme à Nadjaf, à 50 kilomètres plus au sud, la plupart des commerçants ne sont pas mécontents de la disparition d’une bande armée qui faisait fuir, depuis plus d’un mois, tous les touristes et pèlerins attirés par les superbes coupoles et minarets dorés des mausolées. « Ces types-là nous ont ruinés », fulmine Abou Mohammed, un marchand de pâtisseries.
Information: les Iraqiens savent qui les a ruinés.
Distorsion: l’allusion à Beyrouth, la construction de la phrase « bien sûr ici comme à Nadjaf » qui sous-entend le « mais » qui n’arrive pas, tout simplement car il n’y a pas de mais. Les gens sont soulagés. Fin des combats.
L’Amérique paiera. Comme elle a payé à Fallouja, chez les sunnites, et comme elle vient de payer – 1,3 million de dollars – pour racheter environ 4 000 kalachnikovs et 2 460 lance-grenades RPG aux habitants de la cité Sadr, le grand et misérable faubourg chiite de Bagdad, où Moqtada Al-Sadr recrute l’essentiel de ses troupes.
Information: l’armée US répare ce qu’elle détruit dans ses opérations.
Distorsion: à lire Le Monde on a l’impression que l’armée US distribue des dollars pour acheter la paix.
Omission: L’usage de la force armée en territoire urbain s’accompagne toujours de destructions, et l’armée US fait preuve d’une restreinte incroyable et d’une maîtrise de sa puissance de feu proprement stupéfiante. Les pertes civiles sont très limitées, de même que les pertes militaires US au combat (la majorité des morts US a lieu dans l’explosion de bombes artisanales, les « IED »).
Le risque majeur d’un combat anti-insurrectionnel c’est d’employer une force hors de proportion, de provoquer des morts civils en grand nombre, et finalement de retourner la colère des habitants contre l’armée qui les délivre. Il apparait tout de même à la lecture de cet article:
– que les habitants sont contents d’être débarassés des miliciens,
– que la réponse militaire a épargné les lieux les plus critiques (les deux mausolées),
– qu’il n’y a pas de victimes civiles (aucune mention!),
– que l’armée US prend à sa charge la reconstruction.
Ma conclusion: du combat anti-insurrectionnel réussi.