Un ami m’a signalé un article dans Le Monde sur les think tank: La difficile acclimatation des « boîtes à idées » en France (mis en ligne le 25/02/2005, sous la plume de Nicolas Weill). Quoi de plus normal ? Qui voudrait d’idées neuves en France ? On a inventé la démocratie unanimiste! Regardez l’Iraq: 90% des Français étaient opposés à la libération de l’Iraq. Regardez l’Europe: que ce soit pour le oui ou le non, tous les partis sont d’accord pour dire que l’ennemi, c’est le libéralisme! Et il en va ainsi de quasiment tous les sujets soumis à débat politique, c’est à dire quasiment tous en France (éducation, santé, transports, médias, culture, religion, tout y passe ici, l’Etat est partout!).
Evidemment l’irruption de think tank est mal vue, pensez donc, voilà encore une invention des yankees, soupçonnés avant même d’avoir produit un seul rapport d’être des officines néo-libérales:
Une partie de la gauche française demeure pourtant méfiante vis-à-vis d’une nouveauté soupçonnée d’être ni plus ni moins qu’un lobby diffusant dans le public l’idéologie libérale.
La suite est encore plus absurde:
Dans la revue de tendance « gauche critique » Mouvements (septembre-octobre 2004), un sociologue, Paul Lagneau-Ymonet décrit ainsi la Fondation pour l’innovation politique, proche de l’UMP, créée en avril 2004 sous l’impulsion du conseiller de Jacques Chirac, Jérôme Monod, et présidée aujourd’hui par l’ancien ministre des finances Francis Mer.
Sa création, juge-t-il, « participe à la création d’un espace commun au Parti socialiste et à l’UMP ; à l’intérieur de cet espace circulent des idées, des individus, des services. Ces mouvements fournissent l’assise d’une idéologie sociale-libérale dans laquelle peuvent se reconnaître – avec les nuances qui permettent le jeu de la différenciation politique droite-gauche – les deux principaux partis de gouvernement en France. »
1ère remarque: aux Etats-Unis les think tank ne sont pas dirigés par des ex-ministres. L’objet n’est pas de fournir une solution dorée de retraite post-ministérielle mais de produire des idées, de donner des clés de lecture des évènements, d’apporter une perspective à long terme, d’élaborer des stratégies!
2: quand un sociologue est dit « de gauche » par Le Monde, il faut donc comprendre qu’il se situe quelque part entre Bové, les Verts, Lutte Ouvrière etc, car par définition en France un sociologue est aussi un socialiste (ou alors qu’un sociologue qui ne soit pas de gauche se manifeste!), donc un sociologue « de gauche » est à gauche de la gauche!
3: un espace commun à l’UMP et au PS ? Ah la bonne surprise: les deux partis puisent au même endroit leurs idées ? C’est bizarre, ça n’était jamais venu à l’idée de personne auparavant!
4: « social libéral », c’est le nouveau leitmotiv pour ne rien faire tout en laissant croire que justement le temps de la réforme est venu… à moins que le terme ne serve d’épouvantail au sein du PS histoire de radicaliser et remotiver les électeurs ? Et à droite, ce que ce terme peut signifier… la politique inepte de Borloo ? la positive attitude de Raffarin ?
Mais de cette absurdité française, le point le plus intéressant reste le financement:
De l’aveu de M. Mer, sur les 3 millions d’euros de son budget 2004, 2 provenaient de l’Etat. L’UMP a participé pour 800 000 euros – une contribution qui ne devrait pas être reconduite dans cette proportion par Nicolas Sarkozy. Six entreprises comblent le reste.
Sachant que l’UMP tire d’abord ses recettes des subventions étatiques, cela signifie que plus de 90% du budget de ce think tank provient des impôts. Je me demande quelles nouvelles idées vont produire les chercheurs. S’ils veulent voir reconduits leurs salaires, ils savent quelle direction ils doivent donner à leurs rapports. … une loi serait toute indiquée…, … l’intervention de l’Etat est absolument nécessaire…, …le manque de fermeté des politiques de soutien… etc.
Comme d’habitude, une bonne idée est complètement déformée, dénaturée, vidée de son sens, en un mot: francisée.