Moore est un menteur professionnel. C’est comme ça qu’il gagne son argent.Aussi, rien de plus normal qu’en France ses films soient très bien reçus: France Info (la voix de l’Etat à la radio) parraine le film, Bertrand Delanoë organise une petite bouffe à l’Hôtel de Ville, les grandes chaînes télés françaises en parlent abondamment… Bien sûr, Le Monde y met son grain de sel dans son édition du 6 juillet:
Après une Palme d’or au Festival de Cannes et un immense succès aux Etats-Unis, Fahrenheit 9/11, de Michael Moore, efficace mais simpliste et parfois démagogique, sort en France.
Efficace comme Leni Riefenstahl, Eiseinstein. Concernant la palme d’Or, lire Zek et Taranne. Démagogique ? Si peu…
En matière de documentaire, les débats, qu’ils abordent des problèmes d’éthique ou de mise en scène, tournent autour de la « bonne place ». Où mettre la caméra, où filmer les témoins, où placer les micros ? Interrogations qui en induisent d’autres : jusqu’où peut aller le cinéma-vérité, jusqu’où peut-on reconstituer le réel, où commence la vie privée ? La prolifération des films prenant George W. Bush pour cible introduit une autre notion, celle du « bon moment ». Jamais, sans doute, une élection présidentielle n’aura été précédée d’un tel afflux de pièces à conviction visuelles mettant en cause l’honnêteté d’un candidat. Parallèlement au constat d’une salubre liberté d’expression, cet événement nous conduit à une réflexion sur le statut de tels réquisitoires.
Un tel afflux égale le « documentaire » de William Karel, spécialiste du mensonge, et celui de Michael Moore, un autre spécialiste! Parler de cinéma-vérité pour des personnages pareils montre le peu de considération que Le Monde a pour la vérité…
De par ses objectifs avoués, son ton de tract, Fahrenheit 9/11 apparaît comme un film militant, voire un film de propagande, ce qui n’est pas une infamie, comme l’ont prouvé Dziga Vertov, Mikhaïl Kalatozov ou Joris Ivens. Quoi qu’en dise le président du jury, Quentin Tarantino, la récompense symbolique obtenue par le film au Festival de Cannes 2004 ne fait que confirmer ce constat. A supposer que ce prix ait été remis pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le fait que Quentin Tarantino et Michael Moore ont le même producteur (Miramax), affirmer, comme le fit l’auteur de Kill Bill, que Fahrenheit 9/11 n’a été couronné que pour ses qualités cinématographiques est soit une preuve d’incompétence, soit un pur mensonge, soit un pied de nez cynique. Montage d’archives télévisuelles et de reportages à la diable, Fahrenheit 9/11 a été couronné pour des raisons politiques. Le style développé par Michael Moore depuis Roger et moi a plus à voir avec le magazine Mad, le ton Karl Zero ou certains films d’investigation destinés au petit écran qu’à ce que le septième art attend d’une création documentaire.
Bref: le style est nul, mais c’est le message politique qui prime. Appréciez le « voire film de propagande« : en avril 75 les journalistes du Monde relataient la libération du Cambodge et la réunification du Viêtnam, la propagande ça les connaît. Aujourd’hui ils ne sont toujours pas capables de distinguer ce qui est propagande de ce qui n’en est pas, ni de vérifier des allégations…
Cela ne veut pas dire que Fahrenheit 9/11 soit un mauvais film, cela ne signifie pas que l’on regarde sans plaisir ce tonique numéro de prêche destiné à peser sur le prochain scrutin américain. Moore commence d’ailleurs par un rappel du vote qui propulsa Bush président au terme d’un décompte des voix relativement trouble, pour ne pas dire frauduleux, ce qui l’amène à projeter les images inédites des élues noires qui se succédèrent au Sénat pour protester en vain contre les irrégularités du scrutin. Il poursuit par une séquence de divertissement où Bush est ridiculisé comme au guignol et affirme qu’entre janvier et septembre 2001 le patron de la Maison Blanche a passé 42 % de son temps en vacances.
Relativement trouble ? Ce sont les tribunaux qui au regard de la loi ont jugé l’affaire. Que va-t-on encore inventer ? Que Bush a acheté les voix ? Que Jeb Bush, alors gouverneur de Floride, a gonflé les urnes ? pour ne pas dire frauduleux car le dire ce serait un mensonge, alors que le laisser entendre et ajouter « frauduleux » pour les crétins qui n’auraient pas compris l’insinuation c’est pas de la propagande ? Où est le fact checking ? Pourquoi passer uniquement des élues noires ? Pour insinuer que GW Bush était soutenu uniquement par des blancs ? Pour faire comprendre aux Noirs qu’ils doivent voter Kerry ? Pro-pa-gan-de.
Oh, notez aussi la perle sur les « 42% de vacances« . 42% ??? Non: GW Bush a passé beaucoup de temps à Camp David, résidence d’été des Présidents US. Est-ce qu’il est pour autant en vacances ? Là encore Le Monde relaye sans vérifier les dires de Moore, en prenant ses distances de façon peu appuyée.
C’est drôle et, brusquement, ce ne l’est plus du tout. Pour figurer les attentats du 11 Septembre, Moore assène la seule idée cinématographique du film : une minute dix secondes d’écran noir. On n’entend que le son. Tout ce qu’il raconte après est effarant, même si l’essentiel de sa démonstration est éventé : le doux passé d’un fils à papa, les liens entre le clan Bush et l’industrie pétrolière texane, les Saoudiens, la famille Ben Laden, qui se retrouve évacuée hors du territoire sans avoir été interrogée alors que tous les aéroports sont bloqués. Comment l’administration Bush a fait croire que l’Irak était la base du terrorisme, comment elle a entretenu un climat de peur dans le pays avec la complicité aveugle des médias, pourquoi les télés ne montrent pas d’images des cercueils rapatriés du Moyen-Orient.
Hé oui! Moore connaît le pouvoir des images aussi quand il s’agit de montrer le 11 septembre dans toute son horreur, les avions qui plongent dans les tours, la fumée noire, les survivants qui agitent un tissu aux fenêtres, les gens qui se jettent dans le vide, les tours qui s’effondrent… donc hop, tout ça, à la corbeille. Il ne faut SURTOUT pas rappeler aux gens POURQUOI il y a aujourd’hui une guerre. Donc juste le son.
Ensuite: l’essentiel de sa démonstration est éventé : le doux passé d’un fils à papa, les liens entre le clan Bush et l’industrie pétrolière texane, les Saoudiens, la famille Ben Laden, qui se retrouve évacuée hors du territoire sans avoir été interrogée alors que tous les aéroports sont bloqués. Evidemment que c’est éventé: Bush est le fils de son père, Kerry est le mari de son épouse (héritière de l’empire alimentaire Heinz, elle est riche à millions), et donc ? Les liens entre la famille Bush et l’industrie pétrolière ? C’est comme de reprocher à un breton d’être proche de la mer… Les Saoudiens ? Forcément, quand on parle pétrole ils sont jamais loins! Quant à la famille Ben Laden évacuée « sans avoir été interrogée » c’est faux, la liste des passagers a été soumise au FBI et certaines personnes ont été interrogées, et les aéroports n’étaient alors plus bloqués… et d’ailleurs c’est Richard Clarke qui a autorisé ce vol, le même Richard Clarke qui accuse aujourd’hui Bush d’avoir été trop tendre avec les terroristes (trop tendre avant, trop dur après… faudrait savoir Messieurs les anti-Bush!).
La tirade sur le « climat de peur » est particulièrement risible: qui n’a pas eu peur, même en France ? Après 3000 morts en un attentat ? Non moi j’ai pas peur. Alors avant le 11/9 Bush n’y allait pas assez fort contre le terrorisme mais après le 11/9 il effrayait les gens avec des menaces factices ???
Pourquoi les télés ne montrent pas les images des cercueils rapatriés d’Iraq ? Et pourquoi les télés n’ont pas montré les dizaines de personnes sautant dans le vide pour échapper aux flammes lors du 11/9 ? Pourquoi ne montrent-elles pas la barbarie du régime de Saddam (voir la vraie torture, avec un lien sur des films de torture réalisés sous Saddam) ? Pourquoi ne montrent-elles pas les décapitations des islamistes ? Les cadavres du Darfour ? Les corps déchiquetés des Madrilènes ?
Tout cela, on le retrouve, entre autres, dans Le Monde de Bush, de William Karel, et en mieux. Ce que l’on voit dans Fahrenheit 9/11 et que l’on ne voit pas ailleurs, c’est comment l’Etat utilise les classes populaires comme de la chair à canons. Ce qui amène Michael Moore à montrer comment les GI enrôlent de jeunes chômeurs sur un parking de supermarché, et à suivre la mère d’un soldat tué en Irak qui vient manifester devant le Capitole.
Là encore, aucun fact checking ? Quelles sont les formations requises pour faire partie de l’armée ? Quel niveau d’éducation ?
Fidèle à son goût du micro-trottoir, Moore aborde des parlementaires pour leur demander d’inciter leurs propres enfants à s’engager. Le moment hallucinant où George W. Bush reste hébété sur une chaise d’école maternelle alors que l’on vient de lui annoncer qu’un second avion venait de percuter une tour du World Trade Center avait déjà été montré. Il acquiert ici toute sa force, son impact accablant, d’être restitué dans la longueur : démonstration par l’image que cet homme est incapable de diriger les Etats-Unis.
GW Bush a-t-il eu la réaction la meilleure ? Qu’aurait-il du faire ? Pleurer ? Enfiler son uniforme ? Filer à toute vitesse… Quand je me suis levé le matin du 11/9, que j’ai vu les tours en feu, je suis resté en état de choc. 3 jours plus tard j’ai pleuré. Ces tours je les connaissais, je les avais visitées plusieurs fois. J’adore New-York. Ces tours faisaient tellement partie de New-York. Et les 3.000 victimes.GW Bush, 3 ou 4 heures après les attaques, prononçait déjà des paroles telles que « we will prevail ». 3 ou 4h après Moore devait faire ses valises dans son appartement à 3 millions de dollars de l’Upper East Side où il réside habituellement à New-York (son autre résidence étant un manoir en bordure d’un lac dans le Michigan…).
Non seulement Michael Moore a réalisé Fahrenheit 9/11 pour le sortir au « bon moment », c’est-à-dire avant l’élection présidentielle, mais il a aussi façonné le film pour qu’il touche et « choque » le « bon public », c’est-à-dire celui « qui vient en drive-in en fin de semaine et mange du pop-corn pendant la séance ». Ce film que Michael Moore préfère appeler « non-fiction » plutôt que « documentaire » s’adresse à un public populaire. Le Michael Moore de Fahrenheit 9/11 est le même que celui de The Big One, qui tendait au PDG de Nike un billet pour l’Indonésie en lui disant : « On part visiter vos usines et les enfants qui y travaillent. »
« Au bon moment », « façonné »: ce ne sont pas des termes marketings, au sens de « pour maximiser les recettes » mais de propagande: pour maximiser l’impact politique. Pourquoi l’appeler « non-fiction » ? Parce que ce n’est pas un documentair, c’est un « documenteur » (ce n’est pas de moi, en anglais ils disent d’ailleurs « crockumentary »).
Rambo antimondialiste, il ne lésine pas sur les moyens pour faire mouche, à commencer par celui de se mettre lui-même en scène en justicier. Effectivement, Fahrenheit 9/11n’est pas un documentaire, c’est un spectacle ravageur, parfois démagogique (voulant typer chacun des pays de la coalition, il montre un vampire pour la Roumanie, un fumeur de joints pour les Pays-Bas) et porté sur le vidéo-gag (image de Paul Wolfowitz, sous-secrétaire d’Etat à la défense, crachant sur son peigne pour dompter une mèche rebelle).
La fin justifie les moyens. A quand un film montrant Kerry tombant à ski, puis se prenant une gamelle en vélo (comme Bush, il est aussi tombé de vélo sauf que Bush est passé sur toutes les chaînes pour cette mésaventure et pas Kerry…) ?
Après le fondamentaliste Passion du Christ de Mel Gibson, où Jésus crie contre ses bourreaux fanatiques, et le Troie de Wolfgang Petersen, qui filme l’assaut des Grecs comme une préfiguration du Débarquement dont on vient de fêter l’anniversaire, Fahrenheit 9/11 est un nouveau symptôme de la façon dont le cinéma américain pratique le spectacle comme un art de la dénonciation des axes du Mal.
Et hop: Bush fait partie d’un axe du Mal, renvoi dos-à-dos Bush/Ben Laden, la cerise sur le gâteau.
Note:
Pour tout savoir sur Moore, voir le dossier Moore de la Page Libérale, collection de lien sur Moore.
Pour 9/11: Farenheit Fact, un blog dédié à Farenheit 9/11.