Les loups

Un matin comme un autre dans les rues de Gaza. Le premier ministre, Ismaïl Haniyeh, roule vers son bureau, accompagné de ses gardes du corps privés. Soudain la voiture pile. Un barrage de la sécurité préventive, établi à proximité du siège de cette unité qui fut à la pointe de la lutte contre le Hamas dans les années 1990, bloque la route. Les policiers en faction, qui dépendent en théorie du ministre de l’intérieur, refusent de laisser passer le chef du gouvernement palestinien. Alors que ses gros bras font mine d’intervenir, M. Haniyeh, impassible, leur intime de ne pas bouger puis ordonne à son chauffeur de faire demi-tour.

Provocation du service de sécurité le plus « politique » du régime palestinien, parrainé par Mohammed Dahlan, l’ancien ministre des affaires civiles ; profil bas du Hamas, qui préfère éviter l’affrontement : cet épisode en dit long sur la rivalité sourde qui existe dans les coulisses de l’Autorité palestinienne en prélude à une cohabitation contre nature et potentiellement explosive. Interrogé sur l’incident, le porte-parole du gouvernement, Ghazi Hamed réplique par un « No comment » sonore, avant de maugréer en arabe quelques mots beaucoup plus éloquents à l’endroit des caïds de la sécurité préventive.

Dans la panique qui avait suivi la déroute de son parti, le Fatah, aux élections législatives de fin janvier, M. Abbas avait publié plusieurs décrets transférant sous son contrôle des pans entiers du régime, comme la télévision et la radio, et plaçant certains de ses fidèles à des postes-clés. Les députés islamistes ont entrepris de casser toutes ces décisions avalisées par la majorité sortante durant la phase de transition. Mais le jeu d’échecs entre les deux têtes du régime continue, alimenté par les carences de la Constitution et les pressions des chancelleries occidentales, réticentes à traiter avec le vainqueur des élections tant qu’il ne reconnaît pas Israël.

Début avril, M. Abbas a placé sous sa coupe le Fonds d’investissement palestinien, un portefeuille de participations évalué à 750 millions d’euros et jusqu’alors tributaire du ministère des finances. Idem pour le terminal de Rafah, à la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza, où la garde présidentielle a remplacé la police.

Le noyautage des places fortes du régime par le Fatah exaspère la direction du Hamas. « Le gouvernement n’accepte pas la création d’organes parallèles qui risquent de le déposséder de son autorité », a déclaré Ismaïl Haniyeh. L’impression de mise sous tutelle est d’autant plus vive que, dans la totalité des ministères désormais dirigés par un membre ou un sympathisant du Hamas, le personnel est acquis au Fatah et que, faute de budget, le parti au pouvoir n’a pas la possibilité d’y placer ses hommes. M. Abbas s’efforce de tempérer la frustration de son partenaire en affichant une solidarité sans faille devant la communauté internationale, notamment sur le sujet épineux de l’aide.

Mais dans son entourage, on parie déjà sur un échec du Hamas et pousse en ce sens. « Le Hamas n’arrivera pas à rétablir l’ordre et à assurer le financement du régime », dit un haut responsable du Fatah. Illustrant ces propos, un groupe armé des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, mouvement issu du Fatah, a occupé brièvement, jeudi 13 avril, le siège du gouvernement pour réclamer des aides sociales sous la menace de ses armes. « D’ici quelques mois, prédit le haut responsable du Fatah, le président pourra choisir de nommer un nouveau premier ministre. Si les députés Hamas refusent de lui voter la confiance, Abbas aura la possibilité d’appeler à de nouvelles élections. Comment réagira le Hamas ? Nous sommes prêts à toute éventualité. »

Ces prétentions de la part d’un cadre d’un parti repoussé par les électeurs il y a moins de trois mois, font rugir Raji Sourani, militant des droits de l’homme et fin connaisseur de la politique palestinienne. « A part la bande à Dahlan, le Fatah est en miettes. Il est éclaté en une multitude de cellules qui ne représentent que leur intérêt propre. Le Hamas, lui, est puissant et prudent. Il sait éviter les embardées. Il a les moyens de clouer le bec du Fatah pour les cinq prochaines années. » –

(source: Le Monde)

Les loups se disputent les miettes, puisque la manne n’arrive plus, et bien évidemment les promesses de dons des pays arabes se révèlent complètement vides. Il arrivera forcément un moment où ils en viendront aux armes, entre eux.

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