J’apprécie beaucoup Christian Michel, pour certains de ses textes, mais malheureusement il y en a d’autres à la limite du soutenable comme celui publié dans Québécois Libre, intitulé sur le droit des Juifs d’occuper la Palestine.
Rien que le titre mériterait un article à lui seul: il pose implicitement une question: les Juifs ont-ils le droit d’occuper la Palestine ?
Il y aurait donc une réponse, et telle qu’est formulée la question, la réponse est oui ou non.
La question porte sur le droit: les Juifs auraient donc des droits spécifiques, différents de ceux des autres. Un auteur libéral qui se respecte parle des droits individuels, et non pas collectifs. Les droits collectifs n’existent que pour les socialistes, qui découpent la population en « classes », lesquelles ont des « droits » différents. Les racistes considèrent aussi des droits collectifs, et leur classification s’appuie sur la couleur. Il y a aussi les islamistes, pour qui la religion fait office de critère…
l’auteur parle de « Palestine » et pas d’Israël: il adopte le vocabulaire du Hamas, du Fatah, du Jihad Islamique. Palestine pour eux, et on ne le répétèra jamais assez, veut dire: des rives du Jourdain à celles de la Méditerrannée. Israël n’existe pas dans leur vision.
et enfin il y a évidemment le terme « occuper ». Cohabiter dans un espace défini avec une autre population ne veut pas dire « occuper ». Résister à l’épuration ethno-religieuse que voudrait faire subir aux Juifs les diverses factions terroristes n’est pas « occuper ». Mais pour Christian Michel, il semblerait que oui.
Passons maintenant au reste de l’article:
La légitimité que revendique l’État d’Israël à occuper la Palestine se fonde sur cinq types d’arguments. J’essaierai de les résumer le plus fidèlement possible ici, puis de les commenter un par un.
L’Etat d’Israël occupe la Palestine ? L’Etat d’Israël est un Etat légitime, enfin, si tant est qu’on puisse reconnaître une légitimité à un Etat (ce qui pour un libertarien n’est pas évident, loin de là). Mais dans un raisonnement « strictement libéral » on parlerait du droit individuel de chaque Juif (ou autre) de se trouver à un endroit X. On parlerait de droit de propriété, de premier arrivant, d’achat et de vente de terrains. Occuper serait un terme réservé aux voleurs.
Viennent ensuite les 5 arguments, et là je dois dire qu’heureusement il y a du mieux:
1. L’argument du niveau plus élevé de civilisation
Je résume pour ceux qui ne le connaissent pas: il se fonde sur le fait que celui qui fait un meilleur usage qu’un autre d’une ressource aurait un droit à cette ressource. Ainsi si un supermarché pourrait faire plus de chiffre s’il se servait de votre maison comme annexe aurait le droit de vous mettre dehors et de vous remplacer. Ou comme le dit Christian Michel les Blancs auraient le droit de coloniser l’Afrique puisqu’ils en font un « meilleur usage ». A ce compte là vous justifiez bientôt l’esclavage, et cet argument est bien sûr à rejeter avec le plus de force possible.
2. L’argument de la mauvaise conscience:
Le peuple juif a tant souffert qu’il a mérité enfin un pays. Les Occidentaux, qui ont persécuté les Juifs au moins sporadiquement pendant des siècles, leur doivent un soutien inconditionnel à titre de réparation.
L’argument serait plus valable, me semble-t-il, si les Juifs réclamaient un archipel d’États souverains entre la Volga et la Tamise, sur le principe du « persécuteur/payeur ». La question d’une génération d’innocents expiant les fautes de leurs ancêtres soulève de toute façon d’immenses problèmes éthiques, mais ce qui est clair, en revanche, est que les Palestiniens, peu coupables d’agressions au cours des siècles contre la petite minorité juive qui demeurait dans le pays, n’ont pas à payer pour les crimes des Européens.
Encore une fois l’argument est fallacieux, ce que montre Christian Michel, puisqu’il s’appuie sur plusieurs prémisses absurdes:
- qu’il y aurait une responsabilité collective
et encore mieux:
- que cette responsabilité se transmet de génération en génération!
3. L’argument du sanctuaire
Encore un argument débile avec force par Christian Michel: en gros il s’agit de dire qu’un « peuple » peut être « indépendant » et que cela serait une garantie de sécurité. Ce n’est ni une condition suffisante, ni une condition nécessaire à la sécurité d’un peuple. Dans l’Histoire il existe un tas d’exemples de peuples divers ayant choisi de se mettre sous protection d’empires plus puissants, garantissant eux sécurité et souvent prospérité au sein d’un marché vaste et ouvert. Pensez donc à tous les territoires sous protectorat lors des colonisations, à la pax romana, à l’empire chinois…
Malheureusement Christian Michel n’en reste pas là: il tente d’enfoncer le clou et s’empêtre dans les mensonges de la propagande palestinienne:
. La revendication du peuple juif est singulière, cependant, en ce qu’elle ne réclame pas la sécession d’un territoire qui serait déjà le sien, mais l’envahissement d’un territoire déjà occupé par d’autres.
Il n’y avait aucun Juif en « Palestine » avant 1947 ? Il n’y avait pas de kibboutz ? Pas de sionistes non plus ? Pas de Juifs religieux ? Ils ont été parachutés en 47, d’un coup ? Bien sûr que non… il y avait des Juifs et des Arabes en Palestine, et d’ailleurs (et il faudrait pour ça que je fouille mes archives) les terres à l’époque étaient quasi-vides: personne ne voulait s’y installer, et le nombre d’habitants au km² était ridiculement faible. Bref il n’y avait pas de concurrence pour des terres arides et sèches. Et avant 47 à part le terrorisme juif envers les forces britanniques (oui, les premiers terroristes en Israël étaient Juifs!), les Juifs n’ont pas utilisé la force envers les populations arabes! Ils n’ont donc pas envahi le territoire palestinien.
Et il ajoute ensuite:
Les Juifs voulaient un État en 1946 pour y être en sûreté et ne plus dépendre de la bonne volonté de gouvernements étrangers. Le paradoxe aujourd’hui est que les Juifs sont en sûreté partout dans le monde, sauf en Israël, et la survie de cet État dépend entièrement de la bonne volonté de ses amis étrangers.
Il faut savoir que les aides militaires à Israël sont largement compensées par des aides semblables à ses ennemis, comme l’Egypte (2 milliards de dollars/an, des formations militaires, du matériel militaire récent), à l’Arabie Saoudite (pas en cash mais là encore en formation militaire et équipement)… Israël dépend donc partiellement de l’aide américaine.
Reste un autre élément: les Juifs sont-ils plus en sûreté en Israël qu’ailleurs ? Il est évident qu’entourés de fanatiques sanguinaires Israël est un territoire difficile à défendre, mais il est certain que des mesures comme la barrière de sécurité et les opérations militaires ont permis de rétablir un niveau de sécurité bien plus élevé qu’il ne l’était quand Christian Michel a écrit son article en 2002. Et les Juifs en Israël sont toujours plus en sécurité que les Juifs dans les pays aux alentours, enfin, ceux qui restent, car ils ont été massivement, et silencieusement expulsés de chez eux, réfugiés que personne ne compte…
4. L’argument historique
Un autre argument bien battu en brèche par CM: ce n’est pas parce qu’il y a eu un Etat d’Israël il y a 2000 ans qu’il doit automatiquement y en avoir un aujourd’hui, mais c’est une pièce au dossier quand il s’agit de légitimer une présence juive (donc un « droit à occuper ») le territoire israëlien.
Le dernier argument est du même acabit:
5. L’argument de la Terre Promise
Il faudrait accepter que le Droit soit issu de principes religieux pour accepter un tel argument. A rejeter d’un geste de la main, sans plus y penser: à ce compte là le Coran est plus récent, et il donne la Terre entière aux islamistes.
Christain Michel se demande alors pourquoi les Palestiniens n’ont pas obtenu gain de cause:
Arafat n’a pas compris que le conflit ne pouvait être résolu en sa faveur que si l’opinion publique mondiale lâchait Israël. Au concours du meilleur martyr, les Palestiniens avaient toutes les cartes devant un peuple juif devenu « sûr de lui et dominateur », selon le mot de De Gaulle. À chaque scandaleuse provocation israélienne (mépris des décisions de l’ONU; continuation des implantations dans les territoires occupés, même après les accords d’Oslo; marche de Sharon sur le Mont du Temple…), les Palestiniens pouvaient répondre par des encerclements pacifiques de colonies, des marches au flambeau sur Jérusalem, des manifestations de femmes et d’enfants devant les tanks de Tsahal et les caméras de CNN.
Première erreur: l’opinion publique mondiale est très largement en défaveur d’Israël, à commencer par le milliard de Musulmans, la bonne majorité des Européens, des Russes. Les autres n’en ont que faire de ces histoires moyen-orientales, et le gouvernement chinois s’intéresse plus au pétrole qu’aux histoires de conflits millénaires, et donc penche plus du côté arabe que juif. L’opinion publique mondiale ne peut donc pas « lâcher Israël » car cela fait des décennies qu’elle est contre Israël.
Seconde erreur: reprendre le mot de De Gaulle. On a fait un procès à Le Pen pour « Durafour crématoire », et le mot de De Gaulle mériterait bien quelques explications.
Troisième erreur: les provocations israëliennes. Lesquelles ? Celle d’exister, comme en 1948 ? Comme en 56 ? Comme en 67 ? Comme en 73 ? Ca en fait toute une série de guerres… Ok, Israël a démarré celles de 56 et 67. C’est vrai. C’est un fait. Mais il faut savoir reconnaître aussi que le fait qu’il n’y ait pas de guerre en cours ne signifie pas pour autant pas d’hostilités. Les attaques terroristes venant de Gaza avant 67 étaient quotidiennes et meurtrières et c’est pour s’en prémunir qu’Israël a déclenché la guerre ouverte. [voir sur le conflit de 67 le commentaire de Hunden]
L’accusation de provocation à l’encontre d’Ariel Sharon est risible: Arafat préparait la 2nde intifadah depuis un moment et n’attendait qu’un prétexte.
Alors, Israël n’a donc aucune légitimité mais les Palestiniens ont dilapidé la leur ? C’est la conclusion que tire Christian Michel:
Les Palestiniens ont préféré se donner le mauvais rôle. Avec un dossier juridique et moral en béton, ils ont perdu leur procès. Pendant longtemps, j’épousais leur cause. Je pense aujourd’hui qu’elle ne mérite plus d’être défendue. Ils perdront une terre que leurs dirigeants n’ont pas su leur garder.
Mais il pose depuis le début une mauvaise question: il n’y pas de droit à un peuple d’occuper une quelconque terre: il n’y a pas de droits collectifs et c’est la question même qui est à rejeter.
Les Juifs ont le droit de résider où ils ont acheté des terres et vivent en paix avec leurs voisins. Israël est en ce moment même une terre multi-religieuse, où se cotoient des musulmans, des juifs et des chrétiens. Ce n’est pas le cas dans les territoires sous contrôle de l’Autorité Palestinienne, où des Juifs il n’y en a pas, et où les Chrétiens sont en voie de disparition. Il est donc parfaitement possible, comme le démontre tous les jours Israël de cohabiter.
Et si les « provocations israëliennes » n’ont jamais rencontré de réponses pacifiques, c’est parce que les leaders palestiniens sont motivés par la haine. Et si ce n’était pas le cas, s’ils aimaient plus leurs enfants qu’ils ne haïssent les Juifs il n’y aurait pas de problème, il n’y en aurait jamais eu. La vraie question n’est donc pas celle du droit ou non d’un peuple à exclure un autre d’une terre, mais celle de la volonté de vivre en paix sur le même territoire, largement assez vaste pour tous. Quand les Palestiniens vont-ils abandonner leur culte de la mort et apprendre à vivre en paix avec leurs voisins pacifiques ?