Périsse donc le festival de Cannes!

Billet radiophonique diffusé le 30 mai 2004, sur RCJ, par M. Gurfinkiel (avec son autorisation).

Ayons le courage de le dire : le Festival de Cannes est aujourd’hui – et de loin – le plus mauvais festival de cinéma du monde. Le déclin a sans doute commencé voici une trentaine d’années, quand on rasa le joli palais de la Croisette, sorti d’un roman de Scott Fitzgerald, pour le remplacer par ce que les populations locales eurent tôt fait de surnommer « le bunker ». Les lieux ont un esprit. Surtout les lieux d’exception. Ils se vengent quand on les saccage. Du jour que le carrosse de la Croisette a été changé en citrouille de béton, le Festival de la liberté est devenu celui de la provocation ; le Festival de l’élégance, celui du toc ; et celui des créateurs n’a plus été que celui des faiseurs.

2004 restera, à cet égard, le millésime noir, le nadir , l’ annus horribilis . Si j’en crois les critiques, les vrais, les seuls, ceux qui aiment le cinéma d’amour-passion, les oeuvres fortes et les chefs-d’oeuvre n’ont pas manqué. Wong Kar-Wai, Chinois de Hong-Kong, l’auteur du fabuleux In the Mood for Love, que les jurés cannois avaient déjà ignoré, en l’an 2000, présentait un autre film, dans la même veine et sous le signe du même génie, 2046. Rien. Pas une mention. Pas un accessit. Pas le plus petit prix périphérique pour le scénario, la photographie ou les seconds rôles. Cela fait furieusement penser aux Editions Gallimard de 1917, recalant Marcel Proust parce que A la Recherche du temps perdu n’était, à leurs yeux, qu’une « histoire de duchesses ». Sauf que la faute, ici, est suivie d’une récidive. Le Brésilien Walter Salles, auteur de Centro do Brasil, l’un des meilleurs films des années quatre-vingt-dix, raconte, dans Carnets de Voyages, le périple en moto à travers l’Amérique latine, en l’an de grâce 1952, d’un certain Ernesto Guevara qui allait devenir le Che.

Un sujet qui aurait pu être politiquement correct, mais où les sentiments humains l’emportent, malheureusement, sur la ligne du parti, et où l’on cherche en vain la moindre allusion prophétique à la révolte des peuples du début du XXIe siècle, latinos ou autres, contre l’affreuse administration George W. Bush. Pas un prix, évidemment. Pas une mention. Pas un accessit. L’Anglais Stephen Hopkins, dont rien ne permet de penser qu’il n’est pas de gauche, n’a pas eu plus de chance avec son portrait saisissant, tragique, du célébrissime acteur Peter Sellers ; il est vrai qu’il a eu la sottise de ne pas dire à haute voix, comme tout le jury s’y attendait, que ce portrait était en fait une dénonciation du meilleur acteur britannique après Sellers, le premier ministre actuel Tony Blair, soi-disant travailliste mais surtout ami de l’affreux George Bush-fils, l’actuel président des Etats-Unis.

La palme d’or, on appelle toujours cela la palme d’or, buvons le calice jusqu’à la lie, est allée à un non-film, un machin de propagande, Farenheit 9/11, le pensum où l’Américain Michael Moore (Michael Moore ? Vous connaissez ? Vous avez vu UN SEUL de ses films ? Vous avez dit une seule fois, ces dernières années, à votre vieille mère, votre épouse bien-aimée, ou votre petite amie : « Allez, ce soir, on se lâche, on va voir le dernier Michael Moore? « ).

L’Américain Moore, donc, prénom Michael, s’évertue à prouver que la famille Bush, George père et George fils, connaissait la famille Ben Laden, père, mère, fils, cousins, cousines, oncles et petits-neveux, et que, par conséquent, suivez mon regard, ils ont été complices des événements du 11 septembre 2001. Passons sur la thèse, la plus débile et la plus honteuse qui soit.

Bien sûr que les Bush, industriels américains du pétrole, avaient rencontré des Ben Laden, compradores d’une monarchie pétrolière, et même sympathisé avec eux, comme on sympathise, très superficiellement, entre gens du même business. Mais ce qui est intéressant – et que Moore (vous avez dit Moore, comme c’est Moore) n’a même pas le demi-quart de talent de montrer -, c’est que, primo, les Ben Laden, charmants Saoudiens américanisés, ont bien produit le canard noir Oussama, qui, après une carrière de playboy, est devenu le grand pontife que l’on sait de l’islam ultra-rigoriste et du terrorisme tous azimuts, et que, secundo, Bush-fils, tout ficelé qu’il aurait dû être dans ses amitiés saoudiennes, n’en a pas moins pris – avant et après le 11 septembre – ses distances avec Riyad, en particulier, et le monde arabo-musulman, en général, fait la guerre en Afghanistan et en Irak, et soutenu Israël.

Au-delà de la thèse, il y a les moyens. Bien entendu, on peut faire son cinéma comme on veut, mélanger les genres, les styles et les écritures. Si l’on a du talent. Ou l’ombre d’un talent. L’ennui, c’est que Moore (vous avez dit Moore, vous êtes sûr que votre dernier IRM était rassurant ?), Moore, der Mann ohne Talent [sans talent], qui abuse des images d’archives (normal pour quelqu’un qui, le pauvre, ne sait pas filmer), y mêle, sans crier gare, des images façon archives, mais purement fictives. Il est accablant que le Festival de Cannes donne sa palme de cinéaste à un simple monteur, mais plus désespérant encore qu’il le donne à un monteur menteur.

Je passe sur les autres méfaits et ridicules de Cannes 2004. Sauf sur le prix, dit de la Caméra d’Or, attribué, à l’Israélienne Keren Yadaya, pour un film intitulé Or. J’ai cru d’abord que le jury, épuisé par l’affaire Moore (vous avez dit Moore, allongez-vous, le docteur est là dans une minute), avait cédé aux vertiges de l’homonymie. Il paraît que non. Que c’est vraiment le film que l’on récompense. Une histoire de prostituée dont la fille sombre, elle aussi et inexorablement, dans la prostitution. Allons, allons, ne me dites pas que vous n’avez pas compris : un symbole aveuglant de la malédiction héréditaire qui pèse sur le sionisme !

Périsse donc le Festival de Cannes, sauf, bien sûr, si, par miracle, il redevient ce qu’il était. Et que vive le cinéma !

par M. Gurfinkiel

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