Le mauvais rêve

Cela s’appelle un mauvais rêve. Durant quarante-huit heures, tout le monde a cru au récit de Marie L., cette jeune femme qui a déposé une plainte pour avoir été volée et sauvagement agressée avec son bébé sur fond de propos antisémites. […]

Ce fait divers sonnait trop juste. Comme un révélateur d’une époque marquée par la persistance du rejet de l’autre, la montée des agressions racistes et antisémites, de la violence et de la peur. Comme le signe d’un nécessaire sursaut civique et républicain. Mais voilà, le trop vraisemblable n’est pas le vrai. Un simple récit ne constitue pas une preuve. La parole d’une « victime » n’est pas sacrée. La croyance ou la crédulité de tous ne vaut pas certitude.

Forcément tout le monde y a cru, moi y compris d’ailleurs, même si je n’y ai pas accordé une grande attention. Après tout, on n’en est plus à une agression près, et celle-là pour ignoble qu’elle était, ne faisait que rajouter à la longue liste… Le réel problème c’est que le culte de la victime a dérapé: la rédaction du Monde s’aperçoit que les victimes ne sont pas toujours fiables! Le problème c’est qu’avant de doubler le tirage et d’amener la ministre des victimes à la télé (Nicole Guedj), de faire des déclarations grandiloquentes (à la « Galouzeau-Villepin »), il faut peut-être s’assurer de la réalité des faits, au lieu de tout prendre au pied de la lettre. Vous savez, faire un travail de journaliste.

Pour l’avoir oublié, les plus hautes instances de l’Etat ont crédibilisé les affabulations d’une mythomane. Le ministère de l’intérieur puis l’Elysée ont publié des communiqués soulignant le caractère « ignoble » du fait divers et l' »effroi » ressenti. Le Parlement, exceptionnellement réuni dimanche, a interrompu sa séance pour faire part de son émotion. L’ensemble du monde politique et associatif a suivi, et les médias ont puissamment embrayé.

Bravo Le Monde pour cette honnêteté. (sans aucune ironie)

Le Monde n’a pas été exempt de ce mouvement et a commis une faute. Nous en devons excuses aux jeunes des cités issus de l’immigration maghrébine ou africaine, stigmatisés à tort. Nous en devons aussi excuses à nos lecteurs qui peuvent à bon droit nous reprocher de ne pas avoir suffisamment fait place au doute.

Pourquoi devoir des excuses à tous les Maghrébins ou Africains ? Qui les a accusés collectivement ? Qui est assez bête pour reprocher à tous les immigrés où à soupçonner tous les immigrés d’être antisémite et capable de commettre des actes violents ?
Il n’en reste pas moins qu’il existe bien un antisémitisme parmi de nombreux jeunes des banlieues, qu’ils expriment notamment au travers de tags, d’agressions (rares relativement au nombre d’immigrés d’ailleurs!). Mais leur faire porter toute la responsabilité de l’antisémitisme en France sera bien difficile. Le discours antisémite franchouillard n’a pas eu besoin de racailles de banlieue pour se développer: il suit une longue tradition, et il est aujourd’hui largement diffusée par la presse, par les politiciens, par tout un tas d’intellectuels, et aussi bien à droite qu’à gauche, et même surtout à gauche.

L’histoire des médias est truffée de ces erreurs et de ces fièvres journalistiques. De par ses traditions et sa culture, la grande presse obéit presque par nature à un devoir d’indignation et de réaction. Suivre avec indifférence le cours de l’actualité à un train de sénateur ne lui ressemble pas.

Ils sont délirants. Moi qui croyait que la presse cherchait à exposer des faits dans des articles, et dans les pages éditoriales à les commenter… il y a bien longtemps que les pages « opinions » ont débordé sur les articles, et que les causes défendues par les journalistes transparaissent dans leurs reportages biaisés. Mais là c’est un aveu pire que celui-là: en fait la presse n’a pas de recul sur ses publications, suit le mouvement (impulsé par qui ? par l’Etat ? par les dépêches de l’AFP ?), et réagit émotionnellement.

Le poids d’Internet et l’accélération du rythme de circulation de l’information ne simplifient rien. L’univers médiatique vit désormais l’actualité en temps réel. Le monde politique, soucieux de manifester sa présence et sa compassion, de même. Outre que les temps policier et judiciaire s’accordent mal avec les autres, cette concurrence apparaît largement préjudiciable.

C’est la faute au Net si les médias « traditionnels » ne savent pas s’adapter. Curieux renversement de la situation. Si les journalistes veulent conserver une quelconque crédibilité, peut-être leur faudrait-il savoir se différencier de la concurrence plutôt que d’y coller au plus près, notamment dans les défauts! Si justement les journaux avaient su garder la tête froide ils auraient pu pointer du doigt ceux qui se sont emportés trop vite sur le Net. A vouloir suivre le mouvement ils se sont ridiculisés avec les autres. Qu’ont-ils fait du temps de réflexion que permet le format papier ? Oh, je sais bien que Le Monde a un site web très actif, mais les revenus du Monde viennent-ils du site ou du journal ?

L’écrivain François Mauriac (1885-1970), chroniqueur redoutable, assurait qu’il existe « un crime de silence ». Nous découvrons depuis quelque temps qu’il existe un délit d’emballement. Le défi est bien de trouver la juste mesure entre la dictature de l’émotion et l’empire de l’indifférence.

Allez, je vous donne un indice: peut-être faut-il penser à reporter les faits et de limiter les commentaires à des pages dédiées. Travaillez la base de votre métier. Revenez à la source.

Note à tous les médisants qui ne manqueront pas de m’envoyer des mails me disant que je ne respecte pas les règles que je préconise aux autres: un blog n’est pas un journal, point.

Mise à jour: voir le point de vue de zek.

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